C’est la preuve d’un intérêt toujours plus fort parmi les acteurs de l’immobilier d’entreprise pour la «Qualité de Vie au Travail» (QVT). Et pas seulement dans l’immobilier puisque c’est le prochain « cheval de bataille » annoncé par Agnès Buzyn, ministre de la Santé, pour le domaine médico-social !
La QVT seule ne suffira pas à contrer le désengagement des salariés français vis-à-vis de leur emploi. Elle doit être partie prenante d’une réflexion plus globale, qui n’oublie pas d’inclure par exemple les ressources humaines… C’est cette démarche transversale qu’une certification comme OsmoZ® commence à prendre en compte. Des États-Unis à la France, nous vous proposons de décrypter les derniers changements des certifications « Bien-être » pour les bâtiments.
Glisser le long d’un toboggan sur le lieu de travail, c’est encore une incongruité aujourd’hui en France. Ceux qui peuvent s’en targuer, souvent des start-up, se comptent probablement sur les doigts d’une main… à moins de travailler pour Google, qui a fait de son toboggan d’entreprise un symbole de la qualité de vie au travail.
Ce type d’aménagement, popularisé par les grands groupes de la Silicon Valley, se veut la combinaison parfaite entre l’envie chantante de la cigale et la nature besogneuse de la fourmi, entre bonne humeur et productivité. Le toboggan n’est bien sûr qu’une anecdotique image d’Épinal.
Mais la QVT, elle, prend de plus en plus de place dans la réflexion collective d’une société où l’employé ne s’épanouit plus. Elle devient un argument à l’embauche pour de potentiels candidats au recrutement. Et par une chaîne vertueuse, de l’employé à l’employeur, dont l’entreprise occupe un immeuble de travail (bureaux, industries, …), ce sont bien les promoteurs immobiliers qui doivent aujourd’hui intégrer et valoriser la question de la QVT, tant dans la construction neuve qu’au niveau de l’exploitation.
Les organismes de certifications l’ont bien compris et se mettent en ordre de marche, avec de nombreuses nouveautés qui renouvellent le paysage, depuis les débuts pionniers du WELL Building Standard® en octobre 2014.
Fitwel® : la santé « by design »
Première nouveauté, au début de l’année 2017, l’arrivée aux Etats-Unis de la certification Fitwel®.
On ne peut la présenter sans parler de “l’Active Design”. Ce mouvement a pour but d’intégrer et de promouvoir l’activité physique dans la routine des occupants d’un immeuble. L’objectif est ambitieux, puisqu’il s’agit de lutter contre tous les problèmes chroniques de santé nés de l’augmentation des postes de bureaux !
Être assis plus de 3 heures par jour est responsable de 3,8% des décès de toutes causes dans 58 pays (incluant la France) soit plus de 400 000 par an (étude Rezende L.F. et al./2016). Et en France, un salarié sur cinq est affecté par une maladie chronique, selon le baromètre 2015 de Malakoff Médéric sur la santé et le bien-être des employés.
De même qu’on parle beaucoup aujourd’hui de “security by design”, à savoir l’intégration de la sécurité dès la phase de conception, l’Active Design est une sorte de “santé by design”, pensée et conçue en amont, dès la planification et la construction.
Le poids de l’administration américaine
Cette démarche de santé publique a logiquement trouvé un écho au sein de l’administration américaine. Et d’abord à l’échelle de New York puisque Michael Bloomberg, alors maire de la Big Apple, lançait en 2011 le “Center for Active Design”, avec l’ambition de « transformer le révolutionnaire programme new yorkais de l’Active Design en un mouvement international ». Son vœu a été exaucé, au moins à l’échelle nationale.
En effet, des mammouths publics ont pris le relai en offrant un soutien de poids à l’élaboration du Fitwel®. Le prestigieux CDC (centre pour le contrôle et la prévention des maladies) et la GSA (General services administration) ont conduit des essais pilotes sur pas moins de 89 édifices gouvernementaux, cela pendant cinq ans ! Le Fitwel® revendique d’ailleurs ces recherches de santé publique, sur lesquelles il s’appuie pour les traduire en pratiques généralisées.
En 2016, le Center for Active Design fut désigné organisme certificateur. Le Fitwel® a été lancé début 2017, d’abord pour les espaces de bureaux, avant d’être élargi aux résidences en novembre 2017.
Plus simple, moins cher
Pensé pour l’analyse comparative et la classification, le Fitwel® se démarque du WELL B.S.® en se voulant plus simple à mettre en œuvre (moins de critères, aucun prérequis nécessaire), et donc plus rapide et moins cher à certifier.
Le but de l’administration américaine est aussi de pouvoir rapidement attribuer une note pour chaque building, pour que la comparaison d’un bâtiment à l’autre, voire un classement global, puisse se faire plus facilement. La certification Fitwel® est ainsi valable sans limite de temps, ce qui n’est pas le cas du WELL B.S.®.
L’organisation Fitwel® revendique aujourd’hui plus de 95 projets certifiés ou en cours de certifications, ainsi qu’un partenariat avec le GRESB (1) annoncé en 2017.
OsmoZ®, une certification adaptée à la France
Certivéa a lancé le label OsmoZ® le 27 mars 2018. C’est une certification qui a la particularité, et même l’avantage, d’être française, par rapport aux WELL B.S.® et Fitwel®. Élaborée à partir d’études menées en France, elle a l’avantage de la pertinence, puisqu’adaptée à une culture qui se distingue par le taux de désengagement des employés français, en constante hausse.
Ainsi, l’engagement professionnel des Français est le plus faible comparé à 17 autres pays, comme le révèle une étude de Steelcase (fabricant de mobilier de bureaux) menée en 2016, comparant notamment la Chine, le Mexique, l’Inde, l’Arabie Saoudite, les États-Unis ou encore l’Allemagne… Seuls 49% des Français apprécient la culture de leur entreprise, contre 63% dans le reste du monde !
Comment expliquer ce désengagement, observé ces dix dernières années alors même que la pénibilité physique régresse dans le même temps ? Parmi les réflexions soulevées par l’enquête, Steelcase relève que « Les employés français ressentent un manque de contrôle sur les aspects clés de leur travail et un niveau de stress élevé », mais aussi qu’ils sont les plus susceptibles de décrire leur environnement de travail comme « impersonnel ».
Une approche transversale
La certification OsmoZ® n’est pas la solution miracle pour répondre à ce phénomène. Elle ne remet pas en question le contenu même du travail, et affecte donc peu son organisation (le label ne prescrit pas le principe d’entreprise libérée).
Mais elle va cependant assez loin, avec par exemple un critère sur la déconnexion, dont le droit a été introduit avec la loi El Khomri pour lutter contre le problème de “la laisse électronique”, syndrome du salarié qui continue d’être sollicité chez lui depuis l’apparition du numérique.
OsmoZ® a aussi le mérite d’apporter une nouvelle approche transversale, partagée entre les qualités intrinsèques du bâtiment, son aménagement intérieur (c’est le 1er label en France qui prend en compte le “space planning” (2) ), et les politiques ressources humaines. Et ce dernier aspect est primordial, car l’insatisfaction provient aussi du manque de valorisation et de dialogue au sein de l’entreprise. Dans la culture française, la démarche collaborative est indispensable.
Encore une fois, la présence d’un toboggan Google est ici anecdotique. Et si un baby-foot peut favoriser la naissance d’un rythme collectif au sein de l’entreprise, son effet, sans dialogue et politique RH pour l’accompagner, reste limité. En général, si la décision n’est pas proposée par les collaborateurs, si elle n’est pas prise collectivement mais imposée par la direction, il y a peu de chances qu’elle suscite l’adhésion. Ainsi le babyfoot est réduit à être de la poudre aux yeux, l’application d’une politique « du pain et des jeux » à l’échelle d’une entreprise.
L’importance de la reconnaissance au travail
À la différence des autres certifications, OsmoZ® prend aussi en compte le transport et la mobilité, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ou encore la reconnaissance au travail.
Ce dernier aspect s’est particulièrement dégradé dans un monde du travail de plus en plus tendu, où le quantitatif prime sur le qualitatif, comme l’explique Gabriel Gautier, psychologue du travail au ministère de l’Intérieur : « Il existe différents niveaux de reconnaissance au travail. Le tout premier niveau est évident et essentiel, il passe par la politesse, un bonjour par exemple, qui reconnaît l’individu en tant que tel et non en tant que salarié. »
Ce n’est bien sûr pas suffisant. « Il y a ensuite la reconnaissance des résultats au travail. C’est un jugement souvent hiérarchique, qui reconnaît l’utilité ou l’investissement dans le travail effectué. » Mais, contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas celui-là le plus important. « Car on peut être productif tout en ayant la sensation d’avoir réalisé un travail bâclé, impropre, ce qui est particulièrement délétère au niveau psychique. »
Il faut donc la reconnaissance, par l’individu lui-même, de la qualité de son propre travail. « Cette fois, l’individu n’a pas besoin d’un tiers. Il se reconnaît lui-même dans son travail, et donc éprouve la fierté gratifiante du travail bien fait. L’employeur peut favoriser cette reconnaissance grâce aux moyens alloués et aux marges de manœuvre décisionnelle laissées à l’employé. Cet aspect, pourtant primordial, est encore trop peu pris en compte dans les questions de QVT », précise Gabriel Gautier.
L’approche d’OsmoZ® est donc plus ”à 360°”, notamment quant à la couverture des enjeux issus de l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail. Elle est aussi plus collective, alors que la tendance au travail ces dernières années avait plutôt pour priorité l’épanouissement individuel.
WELL v2®, l’évolution d’un label pionnier
Enfin, troisième nouveauté dans le paysage, la seconde mouture de la certification WELL B.S.®, dont la version pilote a été lancée en juin 2018 et qui se positionne surtout comme une réponse apportée à la concurrence du Fitwel®.
Cette certification fut, il faut le rappeler, pionnière, première au monde à porter uniquement sur des sujets de bien-être et santé dans le bâtiment, en se basant sur des données scientifiques vérifiées qui expliquent évidemment pourquoi la perception de la QVT est bonne.
En France, 71 % des salariés et 96 % des dirigeants en sont satisfaits dans leur entreprise (note égale ou supérieure à 6/10, baromètre Malakoff Médéric 2017).
En plus des règles du code du travail et des certifications classiques telles que HQE, BREEAM ou LEED, c’est grâce au WELL, par exemple, qu’aujourd’hui on comprend que la proximité de la lumière naturelle du jour permet de réguler le rythme circadien (3), influençant donc le sommeil de l’employé et sa capacité à travailler jour après jour. Selon une enquête de 2016 de l’Académie américaine de la médecine du sommeil, les collaborateurs travaillant près des fenêtres gagnent 46 minutes de sommeil en plus !
Cette lumière du jour doit ainsi être disponible en permanence, pas seulement au poste de travail, mais également dans les salles de réunion, les espaces de convivialité et les escaliers, ce qui conduit à revisiter les principes de conception architecturale.
La nouvelle mouture du WELL B.S.® propose plus de souplesse et d’adaptabilité, avec un choix qui présente plus de possibilités à la carte, et aussi un coût revu à la baisse. Certains pré-requis deviennent ainsi volontaires et non obligatoires.
Le WELL v2®, s’intéressant aussi aux questions sociales, a ajouté un thème autour de la communauté. Il y en a d’ailleurs 10 au lieu de 7, ce qui correspond surtout à un redécoupage des thèmes du WELL originel.
Le WELL est aujourd’hui la certification la plus reconnue sur le marché, forte de 122 bâtiments certifiés et 104 pré-certifiés par l’International WELL Building Institue (mais aussi pas moins de 769 demandes) ; riche de son expérience, elle évolue naturellement.
Un paysage mouvant, où il reste encore beaucoup à faire
La QVT n’est pas qu’un feu de paille ou un effet de mode destiné à disparaître aussi vite qu’il est apparu. Aux États-Unis et au Canada, certains acteurs parlent d’ailleurs du “wellness” (soit la qualité de vie non seulement au travail, mais dans les logements, à l’école et dans les espaces publics) comme de la prochaine industrie à mille milliards de dollars.
Si le paysage est aussi mouvant, c’est parce qu’il est encore jeune. Les organismes certificateurs cherchent encore la meilleure formule pour satisfaire les besoins des acteurs de l’immobilier, tant en phase de construction que lors de l’exploitation, et leurs exigences respectives.
Il reste bien sûr encore beaucoup à faire, notamment pour sensibiliser tous les intervenants, du promoteur immobilier au salarié, pour que la qualité de vie au travail devienne une réalité généralisée. Alors, peut-être, l’individu vaquant à son travail pourra s’approprier ces labels, comme une traduction contemporaine de « L’Invitation au voyage » de Charles Baudelaire :
« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. »… en y ajoutant la QVT !
Joseph Bancaud, en collaboration avec Gwenaël Jan (WELL AP, WELL Faculty, Auditeur OsmoZ, Fitwel Ambassador)
(1) Le GRESB est le benchmark mondial sur les pratiques de durabilité dans le domaine de l’immobilier.
(2) Le “Space planning” consiste en l’organisation sur plan des espaces de travail dans l’entreprise.
(3) Le rythme circadien est un rythme biologique d’environ 24 heures.
Cet article a été publié dans la revue L’Ingénieur-Constructeur n°547 (nov 2018), sous le titre Un esprit sain dans un corps sain… dans un bâtiment sain ! Découvrons les nouvelles certifications « Bien-être » pour les bâtiments.
Photo de une : Le toboggan des bureaux de Google à San Francisco © Scott Beale / Laughing Squid