Les troubles musculo-squelettiques (TMS) constituent 87% des maladies professionnelles reconnues, et 20 % des accidents du travail sont liés au mal de dos, selon les statistiques 2017 de l’Assurance-maladie. Ces chiffres évoluent à la hausse, alors que nous commençons tout juste à avoir un peu de recul sur les conséquences de santé de la position assise prolongée de toute une génération de « cols blancs ».
Dans ce contexte, notre étude nous a permis de montrer que le Swiss ball n’est pas une solution miracle, il peut même être contre-productif. Cependant, bien utilisé par un collaborateur sensibilisé, il reste très pertinent en permettant une activité musculaire et une mobilité accrues.
Le Swiss ball, aussi appelé ballon de Klein, est né en 1963, de l’inventivité de l’industriel italien Aquilino Casani. Sa première vocation est celle d’un jouet destiné aux enfants. Un tel objet peut-il remplacer le traditionnel fauteuil de bureau ? Pour nous faire notre propre opinion, l’étude ergonomique menée par Vincent Vitrolles a été paramétrée pour apporter des éléments de réponse avec des données scientifiques concrètes, alors que circulent de nombreuses recommandations contradictoires concernant l’usage de cet objet au travail.
Des employés sur des tapis roulants ?
Notre étude a été menée pour observer si, chez une personne utilisant régulièrement le Swiss ball comme assise de bureau, l’activité musculaire et la mobilité du sujet sont supérieures, comparées à l’usage d’un fauteuil de bureau classique. Une activité physique et une mobilité renforcées seraient positives, mais il ne faut pas non plus que le ballon soit trop sollicitant, qu’il demande trop d’énergie au collaborateur.
En raisonnant par l’absurde, on pourrait imaginer placer des employés sur des tapis roulants à leur poste de travail, comme relaté dans un article de la chercheuse américaine, Docteur Catrine Tudor-Locke. La dépense physique est certes au top, mais se fait au détriment de la concentration, sans compter les risques cardiaques d’une suractivité pour certaines personnes.
Le protocole
Sur une demi-journée, deux cobayes (sujet 1 et sujet 2) ont effectué deux séances de deux heures de travail au bureau, avec des tâches approximativement identiques. Lors de la première phase (2h), ils ont utilisé un Swiss ball, et lors de la seconde phase (2h), un fauteuil classique. Les deux assises ont été réglées afin d’avoir une position de travail la plus respectueuse possible des règles ergonomiques. Différence primordiale entre les deux sujets : le sujet 1 est habitué à l’usage du ballon de Klein alors que le sujet 2 est inexpérimenté.
Pendant l’expérience, Vincent Vitrolles a réalisé une mesure de la fréquence cardiaque, avec un cardiofréquencemètre avec ceinture pectorale, une électromyographie de surface à l’aide d’électrodes afin d’enregistrer l’activité électrique des muscles du tronc, et un timelapse de la personne au travail pour une analyse biomécanique vectorielle.
Ces techniques sont connues, mais l’électromyographie est habituellement réservée aux sportifs plus qu’aux employés de bureaux. Quant à l’enregistrement de l’activité musculaire, s’il est courant de trouver des périodes de capture de 15 à 30 minutes, il n’avait jamais été réalisé, à notre connaissance, des captures en continu sur une durée de 4 heures, l’exploitation des données représentant encore une importante contrainte pour les logiciels existants.
Des résultats contradictoires
On peut ici se pencher sur l’indice du coût cardiaque relatif (CCr), permettant d’évaluer l’astreinte physique sur l’organisme (en gardant à l’esprit qu’un CCr supérieur à 30 % serait synonyme d’une sollicitation physique trop importante). Pour les deux sujets, le résultat est très différent. Alors que le CCr augmente pour le sujet expérimenté, il diminue pour le sujet 2 :
Sujet 1 (expérimenté) : le CCr moyen est de 14,29 % pour le fauteuil et 17,46 % pour le Swiss ball.
Sujet 2 (inexpérimenté) : le CCr moyen est de 9,85 % pour le fauteuil et 8,33 % pour le Swiss ball.
On peut aussi comparer pour les deux sujets les déplacements pendant qu’ils étaient assis sur le Swiss ball et le fauteuil. À chaque fois, la mobilité est beaucoup plus importante avec le ballon de Klein : les « plats » du graphique avec le fauteuil disparaissent !
Concrètement, on peut donc constater pour le sujet 1 plus de mouvements, des changements réguliers de postures. De plus, il permet plus d’amplitudes, plus de dépense énergétique.
Pour le sujet 2, l’assise sur le Swiss ball a certes légèrement augmenté la mobilité, mais la dépense énergétique non, et l’activité musculaire a été très nettement inférieure par rapport à la position assise sur le fauteuil.
Cette dichotomie se retrouve aussi dans la nette différence de posture entre le sujet 1 expérimenté, et le sujet 2 néophyte.
Pour le sujet 1, l’assise respecte la courbure naturelle du dos, alors que chez le sujet 2, l’assise, que ce soit sur le ballon ou sur le fauteuil, n’est pas bonne : dans ce cas-ci, la stratégie de la position « avachie » est employée avec une courbure globale dorso-lombaire en cyphose, exagérément arrondie.
Traduction pour la santé à long terme
Il faut d’abord rappeler ici que dans une position assise normale, les disques se tassent, et on perd plus d’un centimètre dans la journée. Autrement dit, il n’y a par définition pas de posture parfaite, même dans un super fauteuil ! L’important est de changer régulièrement de postures, afin de varier les zones de contraintes.
L’employé de bureau est ici face à un mal pernicieux, puisque la sanction du sédentarisme de bureau peut ne tomber qu’après 20 années de mauvaises pratiques. Les pathologies liées à l’immobilisme sont nombreuses : arthrose, hernie discale, TMS, irritation et compression de certaines racines nerveuses, déconditionnement (soit l’incapacité chronique à effectuer des tâches simples comme monter des escaliers)… Couplé à d’autres facteurs comme une mauvaise alimentation et le manque de sport, il contribue aussi à l’obésité.
Dans notre étude, pour le sujet 1, les mécanismes sont vertueux : il a une bonne activité musculaire et il préserve les courbures physiologiques de son rachis. C’est bon pour tous les muscles du tronc. On les sollicite et on protège les structures passives comme les disques intervertébraux.
Pour le sujet 2, sa position « avachie » augmente les pressions intra-discale, les muscles se laissent étirer jusqu’à ne presque plus être actifs, sollicitant par conséquent plus fortement les ligaments et les disques intervertébraux. A plus ou moins long terme, on obtiendra un déconditionnement des muscles du dos et des abdominaux si aucune contre-mesure n’est mise en place.
Attention, le Swiss ball ne sert pas à maigrir !
On peut donc constater que le Swiss ball n’est plus un simple accessoire ludique. Le regard sur le ballon a d’ailleurs pu évoluer grâce à la sensibilisation aux questions de qualité de vie au travail. Et même si notre étude nous montre que le Swiss ball n’est pas une solution magique, il est bénéfique dès lors qu’on sait comment l’utiliser.
Comme le notait Vincent Vitrolles pendant l’étude, « dans mon quotidien, en tant que thérapeute, je me suis aperçu qu’un grand nombre de mes patients souffraient d’un défaut d’information et d’éducation concernant leur posture au travail. » Apprendre comment bien s’asseoir sur une chaise de bureau est une première étape. Il en va de même pour le ballon de Klein. Chaque individu est différent, prescrire le Swiss ball de manière générique est donc un non-sens, d’autant plus si cette prescription n’est pas accompagnée de conseils d’utilisation.
Notre étude nous montre aussi qu’il serait erroné de conseiller le ballon de Klein pour maigrir. Il n’est pas fait pour ça, son astreinte physique sur l’organisme est trop modérée. Par contre, il améliore la mobilité du bassin et lutte contre le déconditionnement, au quotidien… à condition de bouger régulièrement. Plus que le ballon de Klein, la mobilité est la clé : jamais de posture prolongée. Et Vincent Vitrolles de rappeler l’adage anglo-saxon « Your best posture is your next posture », qu’on pourrait traduire par : « La bonne posture ? C’est la suivante ! ».
Joseph Bancaud
Photo de une : Piney, le chien du Président américain Herbert Hoover, assis sur un ballon, à La Maison-Blanche (1929).